Les Roses de Rosetta
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 "Le miroir"

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Rosetta Douglas-Henderson

Rosetta Douglas-Henderson


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Date d'inscription : 30/10/2008

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MessageSujet: "Le miroir"   "Le miroir" Icon_minitimeMar 4 Nov - 1:07

"LE MIROIR"




Plantation de "Svenska Ros", Louisiane, 1868


Seule, dans sa jolie chambre aux tentures de velours rose, une jeune fille était perdue dans ses pensées. Elle se tenait debout, près des immenses portes-fenêtres qui, dépassant la belle balustrade blanche noyée de soleil, s'ouvraient sur des espaces à perte de vue qui s'étendaient jusqu'aux premiers bayous. Le silence fut rompu par le léger soupir qui effleura les lèvres de Rosetta. Le front appuyé contre le carreau, elle laissait son regard partir au loin. Elle était si jolie, pensive de la sorte. Ses cheveux bruns coiffés en anglaises faisaient ressortir la pâleur de son teint de porcelaine, le teint d'une jeune fille qui ne sortait jamais au soleil et qui ne manquait pas de porter un chapeau si elle s'aventurait sur la terrasse. Quant à sa robe de mousseline blanche, ornée de petites roses en bouton, elle formait sur son corps souple et fin une véritable corolle portée par ses nombreux jupons. Un bien charmant tableau pour quinconque serait entré dans la chambre et aurait pu, le souffle coupé, l'admirer de dos, pensive, le visage incliné.

La petite main de Rosetta vint elle aussi se poser sur le carreau. Du bout du doigt, elle traça distraitement son nom, mais il n'y avait nulle buée pour qu'on put le lire. "Fersen." C'était les lettres invisibles qui avaient guidé son doigt. Rosetta von Fersen. La jeune fille était entrée depuis peu dans sa vingt-et-unième année. Cet âge avait pour elle la mesure d'un symbole. Délaissant la porte-fenêtre contre laquelle elle s'était appuyée, Rosetta prit entre ses doigts fins le médaillon qu'elle portait autour de son cou délicat. Elle l'ouvrit. C'était un bijou ancien. Il avait appartenu à la soeur de son arrière grand-père, Sofia, et celle-ci en avait fait don à Grand-père sur son lit de mort. Dans un léger déclic, le bijou s'ouvrit pour révéler son trésor. Une miniature. Le visage d'une jeune femme aux cheveux poudrés comme il avait été d'usage autrefois lui apparut. Son sourire était merveilleux. Ses yeux emplis de douceur. La Comtesse Rosetta... C'était son prénom que l'on avait donné à la jeune fille. "Arrière grand-mère... Comme j'aurais voulu vous connaître..." La Comtesse avait 21 ans lorsque cette miniature avait été réalisée. Le grand-père de la jeune fille le lui avait dit. C'était en 1783. Ce n'était pas tout. Ce médaillon et cette miniature avait été réalisés pour Sofia par un grand bijoutier de Stockholm dans les jours qui suivirent le mariage de la Comtesse, sa belle-soeur.

Rosetta aussi allait se marier. Dans quelques semaines. Elle avait l'âge de la Comtesse, l'âge de son mariage, l'âge de la miniature. Bien sûr, Rosetta avait peur. Mais elle aimait son fiancé. L'aristocrate sudiste égarée dans un pays sans Roi était tombée amoureuse d'un ancien officier nordiste. Certes, il lui avait sauvé la vie, juste après la Reddition de Lee à Appomatox, mais l'amour qu'éprouvait Rosetta n'était pas porté par la gratitude. Si elle avait ressenti tant de joie lorsque l'oncle qui veillait sur elle depuis la mort de ses parents avait consenti à donner sa main à James Douglas, ce n'était pas par reconnaissance. Elle ne pensait pas payer une dette en l'épousant. Non, elle l'aimait. Dans quelques semaines, le mariage serait célébré à la plantation, puis James l'emmenerait à Boston, dans le nord lointain où il avait vécu avant le guerre. Devant l'inconnu, Rosetta avait peur. Mais elle l'aimait, tout irait bien.

Adressant un sourire bienveillant à la jeune femme de la miniature, Rosetta se dirigea vers la coiffeuse. Elle prit un fort joli miroir à main et s'y contempla un instant. Tous lui trouvait la plus parfaite ressemblance avec la Comtesse. Cela était moral, mais physique aussi. Tenant d'une main son miroir, de l'autre le médaillon toujours ouvert, elle fit un examen soigneux des deux visages qui s'offraient ainsi à elle, côte à côte. Elle n'avait encore jamais fait cela avec tant d'attention. Certes, enfant déjà elle contemplait longuement le visage de la Comtesse. Il lui était même arrivé d'y déposer un baiser. Certes, elle avait, en grandissant, remarqué leur grande ressemblance. Mais elle n'avait encore jamais observé leurs deux visages de cette manière. Elle fut touchée au coeur. Les deux visages semblaient le même. La petite bouche aux lèvres roses si délicatement ourlées... Le petit nez... Les yeux noisettes si doux où toute l'indulgence du monde semblait s'être réunie... La peau si blanche... Les cheveux étaient poudrés, mais Rosetta savait qu'ils étaient bruns comme les siens. Elle avait d'ailleurs vu un autre portrait de la Comtesse, où un peintre talentueux l'avait représentée tenant dans ses bras un bébé qui n'était autre que Grand-père. Sur ce portrait, l'on voyait sa chevelure au naturel. Elle était tout comme la sienne. Seules la coiffure et la robe étaient différentes. Elles étaient du temps roccoco. Un monde qui avait sombré dans le passé.

Émue, Rosetta essuya rapidement une larme qui perlait au coin de sa paupière. Elle posa son miroir et referma le médaillon. Il ne la quitterait jamais. La Comtesse serait ainsi toujours auprès d'elle. Elle avait besoin de la protection de celle qui se trouvait Là-Haut aux côtés de son époux bien-aimé pour lequel elle s'était laissée mourir. Rosetta allait bientôt quitter la plantation où elle avait vu le jour. La Comtesse resterait ainsi près d'elle lorsqu'elle serait devenue, dans quelques semaines, Mrs. Rosetta Douglas...

FIN.
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