"UNE LIASSE DE FEUILLES JAUNIES PAR LE TEMPS"
Note : pensez à "L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux" ("The horse whisperer") pour le décor : la grande maison d'Oncle Bob (le portrait craché de... Robert Redford !!) et la petite maison de Stephen et Rosetta.
Nous sommes en 1871.
Chapitre IRosetta était assise près d'une fenêtre ornée de petits rideaux rouges et blancs, dans la petite maison qu'elle partageait avec son mari, Stephen, près de la rivière. Cela faisait quelques mois à peine qu'elle vivait ici, sur les terres du ranch que tous appelaient le ranch d'Oncle Bob. La jeune femme avait très vite été adoptée. Le propriétaire des lieux, Oncle Bob, qui vivaient dans la grande maison, un peu plus haut, comme les autres fermiers, tous étaient tombés sous le charme de sa douceur et de sa gentillesse. Stephen était le seul des fermiers du ranch à être marié, aussi Oncle Bob lui avait-il permis de s'installer dans la petite maison près de la rivière avec son épouse, pour qu'ils aient un véritable foyer où ils pourraient un jour élever leurs enfants. Rosetta n'avait pas eu à s'installer dans les logements des ouvriers agricoles avec les autres. Stephen savait à quel point Oncle Bob tenait à cette modeste maison. C'était là qu'il vivait avec son épouse avant de pouvoir construire un jour une maison plus belle et plus grande. C'était là qu'il avait débuté, modestement, sur ces terres, dans cette maison de bois près de la rivière. Il était maintenant propriétaire d'une vaste exploitation et employait plusieurs fermiers. Cette maison était en quelque sorte le berceau pionnier du ranch.
La petite maison en bois était tout à fait charmante, s'était exclamée Rosetta en remerciant chaleureusement Oncle Bob. La jeune femme était sincère, elle trouvait tout cela très joli. C'était pourtant bien modeste à côté de "Svenska Ros", l'immense plantation où elle avait vu le jour, en Louisiane, mais, telle Blanche-Neige devant la chaumière des nains, elle était tombée en amour devant l'adorable endroit, si bucolique et si charmant, où elle pouvait entendre de son lit chanter la rivière aux éclats de diamants. Elle était heureuse. Stephen l'aimait. C'était par amour pour elle qu'il avait renoncé à sa vie de chasseur de primes. n'était-ce pas là preuve suffisante ? Il avait aimé sa liberté, mais il avait été prêt à la sacrifier pour elle, il était devenu fermier. Rosetta, quant à elle, s'occupait de leur petit foyer. C'était elle également qui cuisinait pour Oncle Bob et tous les fermiers du ranch. Elle se rendait alors à la grande maison où tous déjeunaient dans la grande salle à manger en compagnie d'Oncle Bob. Avant qu'il ne perde son épouse, c'était elle qui restait aux fourneaux, mais c'était à présent Rosetta qui remplissait ce rôle. Chacun avait été soulagé à son arrivée, car Oncle Bob n'était décidemment pas doué pour faire la cuisine, malgré ses efforts. Il n'avait pas voulu engager une cuisinière, aussi avait-il tenté de remplacer sa femme, mais il avait surtout réussi à provoquer de douloureux maux de ventre à ses ouvriers. Rosetta aussi avait appris récemment. Tant qu'elle avait vécu à la plantation elle avait eu des cuisinières ; James, son premier époux dont elle était veuve, en avait également une lorsqu'ils vivaient à Boston. Puis, elle avait dû apprendre lorsqu'il avait décidé de partir dans l'Ouest. Rosetta avait souvent pleuré. Elle avait fait de son mieux pour assurer elle-même toutes les tâches ménagères, habituée qu'elle avait été à avoir des domestiques ; elle devait apprendre, et elle y avait mis tout son coeur. Mais James ne l'avait pas compris.
Combien de fois l'avait-il battue pour des cookies brûlés ? La pauvre Rosetta avait eu le coeur brisé. Aujourd'hui, Stephen ne lui faisait jamais de repproches pour une tarte un peu trop cuite. Du reste, Rosetta y avait mis tant de coeur qu'à présent les yeux se mettaient à briller de gourmandise lorsqu'elle appelait à la soupe avec son triangle, sur le perron de la grande maison.
Pour l'heure, Rosetta était donc assise près de la fenêtre. Elle faisait une robe de coton bleu. Cela aussi, elle avait dû apprendre. Les premiers temps, ses mains avaient été couvertes de piqûres d'épingles. Elle était peu adroite, mais là encore elle fit si bien qu'elle savait à présent se débrouiller pour tout. Ses mains blanches et fines... Elle avait pensé qu'elles seraient abîmées, mais elle était parvenue à les conserver aussi belles que celles que devaient avoir son arrière grand-mère, la Comtesse. Il fallait remercier le médecin qui était installé à la ville la plus proche. Il était arrivé peu de temps auparavant de la côte Est et avait eu l'habitude des dames raffinées, soucieuses de leur teint. Il avait donné à Rosetta des baumes étonnants provenant des grandes villes thermales européennes et qui permettaient à la jeune femme de conserver la douceur de sa peau et de se garder des brûlures du soleil. Si Rosetta ne portait plus les robes à crinoline qu'on lui confectionnait à la plantation, elle gardait, sous ses robes simples, un corps d'aristocrate. Sa coqueterie était d'ailleurs la seule chose qu'on put peut-être lui repprocher.
Alors que Rosetta cousait sa robe, un bruit de roues se fit entendre. Elle passa son doux visage dans l'encadrement de la fenêtre. C'était le chariot de Stephen. Il revenait de la ville la plus proche, Penitence. Une ville, c'était un bien grand mot ! Ce n'était pas Saint-Louis, ni même Carson City où Rosetta avait vécu avec James lorsqu'il avait été tué. C'était le début d'une ville. L'oeuvre des pioniers. Penitence était, du reste, tout de même dotée d'un relais de la Wells & Fargo : s'il n'y avait pas le cheval de fer, la diligence y arrivait et permettait le transport des personnes et du courrier, relayé également par le bureau du télégraphe.
- Rosetta !
Stephen entra dans la maison. Un large sourire fendit son visage lorsqu'il prit sa femme dans ses bras. Il était si grand et elle si menue ! C'était sans difficulté qu'il la soulevait dans ses bras lorsqu'il voulait la porter lui-même sur le lit. Et Rosetta aimait tant se lover entre ses larges épaules !
- Pour qui sont tous ces paquets, sur le chariot, Stephen ? demanda-t-elle.
Il se mit à rire tout en enlevant son chapeau.
- Vous êtes curieuse, dit-il avec un sourire irrésistible. Ils sont pour vous, bien sûr. C'est votre oncle et votre tante qui vous envoient encore des affaires !
- Oooh... Laissez-moi vous aider à décharger tout cela !
- Non, Rosetta, c'est très lourd. Soyez gentille, contentez-vous de déballer vos fanfreluches !
Stephen apporta deux lourdes caisses de bois qui lui avait été remis au relais de la Wells & Fargo, pour Mrs. Rosetta Henderson. Il les ouvrit. Il ne s'était pas trompé : les caisses débordaient de choses inutiles à ses yeux, mais qui semblaient indispensables à une "vraie dame" comme Rosetta. Celle-ci avait déjà délicatement déplié une robe magnifique, dans toute cette brassée de robes et de chapeaux, ces derniers étant fort heureusement protégés par des cartons à chapeaux spécialement conçus pour un tel périple.
- C'est magnifique !!!!
Elle s'extasiait, tout en riant comme une enfant.
- Mais, reprit-elle, je suis reconnaissante à mon oncle et à ma tante de m'envoyer ces robes comme on les fait à Paris, cependant je serais ridicule si je m'accoutrais ainsi au ranch...
- Eh bien gardez-les pour l'office du dimanche !
- Non, dit-elle en riant, ce n'est pas assez décent, voyez le décolleté !
- Il est parfait et vous ira bien mieux que vos robes boutonnées jusqu'au cou !
- Oooh, Stephen !!!!!!!!!! Je sais que nous trouverons l'occasion... ajouta-t-elle en rougissant aussitôt.
- Oui, vous les mettrez pour moi, à la nuit tombée...
Stephen mit les mains dans l'une des caisses, distraitement, pour les ôter des hanches de Rosetta qu'il avait saisit, faute de quoi il aurait mis à exécution des projets qu'il avait avec sa femme, ce qui n'était guère le moment car elle devait préparer le repas. Il en sortit une gravue ancienne, soigneusement encadrée, représentant un homme coiffé d'une perruque poudrée.
- Tiens, qu'est-ce que c'est que ça ?
Rosetta prit le cadre entre ses mains et soufflant doucement dessus pour en ôter la poussière.
- C'est un ancien Roi de Suède, c'est un portrait de Gustav III.
- Ah oui ?
- Oui !
- Ça fera bien accroché au mur !
Rosetta connaissait suffisamment Stephen pour savoir qu'il n'y avait nulle moquerie dans sa voix.
- Il y a ce petit paquet, aussi...
- Aaah, ça, c'est... euh... une bouteille de bourbon...
- Oooh ! Vous savez bien que ce n'est pas bien !
- Mais c'est du bourbon !
Rosetta poussa un soupir et n'insista pas, comme d'habitude. Le bourbon était la manie qu'elle n'aimait pas chez Stephen. Elle avait vu James en boire et la battre après. Cependant, elle n'insistait pas. Son mari connaissait sa répugnance face à l'alcool, il lui avait un jour demandée en riant si elle comptait rejoindre la ligue vertueuse des anti-alcooliques. Il savait qu'elle n'approuvait pas. Mais elle était indulgente de nature, et elle se rassurait de savoir que cette mauvaise habitude qu'il avait pris n'était pas au point d'être un vice. Alors comme souvent elle changea de sujet.
- Stephen, je voudrais me rendre à la ville, demain. J'ai besoin de lecture.
- Je vous y conduirai...