"PURA SICOMME UN' ANGELO"
Chapitre 1« Il fait nuit… Depuis quelques heures déjà… Pas un seul filet d’air ne passe les volets à demi clos. La température n’est pas retombée, ou si peu. C’est comme cela en cette saison, dans la région de Palerme. Il faut être du pays pour supporter cette chaleur. Je l’avais oublié. Tout comme j’avais oublié certains mots. Je connais mieux New York que ces paysages arides où sont nés mes parents. J’étais petit la première fois que je suis venu ici. Je me souviens que Connie était encore bébé. Quand je pense que ma sœur est mariée, maintenant… Elle-même attend un bébé. J’aurais aimé être là pour voir mon neveu ou mon nièce dans ses premiers jours mais je ne peux pas encore rentrer. Pas avec la guerre qui s’est rallumée là-bas depuis que j’ai tué Sollozzo et McClusky. Et encore moins depuis que…
« … Ils ont eu Sonny… Seigneur, ils ont eu Sonny… Ils l’ont eu au péage de l’autoroute. Qui est ce « ils », personne n’en sait rien pour le moment. Des hommes de Barzini, de Tataglia, de qui d’autres encore ? On ne le sait pas. Quand Don Tommasino est venu m’apprendre la nouvelle, ce matin, il n’en savait pas plus. Seulement que je ne pouvais pas encore rentrer à New York et que Sonny était mort.
Tom en sait peut-être plus, peut-être a-t-il caché autre chose, mais pour le moment je suis seul face à cette évidence : ils ont eu Sonny. Connie avait téléphoné, Carlo la frappe. Sonny s’est précipité pour l’aider, a refusé qu’on l’escorte, et ils l’ont eu. Tom avait envoyé une voiture pour le suivre mais ils sont arrivés trop tard. C’est tout ce que je sais.
« La Mamma doit pleurer toutes les larmes de son corps et Pop… il doit être anéanti. Il doit se demander pourquoi a-t-il survécu aux cinq balles tirées par les hommes de Sollozzo pour voir ensuite mourir son fils aîné. Je rage de ne pas pouvoir rentrer aussitôt alors qu’ils ont besoin de moi. Heureusement qu’ils ont Tom, et Fredo s’il est encore à New York. Pauvre Tom… Il était attaché à Sonny plus qu’aucun autre. C’est lui qui l’a trouvé dans la rue quand ils étaient petits et qui l’a ramené à la maison. C’est comme cela que Tom est arrivé chez nous et que Pop l’a adopté. Gräce à Sonny. Pauvre Sandra et ses enfants, les petites jumelles, Frank, Santino Jr…
« Et moi, à présent… Je n’entendrai plus mon grand frère m’appeler « Nice college boy » ou « l’intello ». Il a été bien surpris quand j’ai dit que je m’occuperai de Sollozzo et de McClusky. Ni Clemenza, ni Tessio, ni Tom ne l’ont cru. Quand Sonny a compris que j’étais déterminé, j’ai vu qu’il me regardait autrement. Il lui était arrivé de me secouer ou de me cogner, comme pour l’anniversaire de Pop, en 41, quand j’ai dis que je m’étais engagé pour me battre dans le Pacifique. Mais son regard avait changé.
« J’ai du faire bonne figure quand Don Tommasino m’a appris la mort de Sonny. Pour elle. Pour Apollonia qui m’attendait dans la voiture, qui attendait que je revienne lui apprendre à conduire « come lo hai promesso ». Je lui ai dit quand même que l’un de mes frères était mort. Je ne voulais pas lui dire que je partais pour Syracuse en la laissant à Corleone sans raison. J’aurais pu. Elle m’aurait obéi. J’aurais pu la ramener chez son père sans lui dire que si je vais seul à Syracuse, si je ne peux pas l’emmener demain avec moi, c’est pour la protéger, pour sa propre sécurité.
« Elle croirait que je ne l’aime pas autant que je le dis. Elle aurait des doutes, et pourtant Dieu m’est témoin que je l’aime infiniment. Elle a le droit de savoir. De savoir que la mort de Sonny me met en danger, qu’on a retrouvé ma trace et que même à Syracuse je continue d’être en danger ainsi que toute personne qui m’accompagnerait. Elle ne peut pas venir. Il faut attendre que les choses se calment, comme il a fallu que je quitte New York, Sollozzo et McCluskey à peine refroidis. Sans pouvoir dire au revoir à la Mamma ; c’est Sonny qui l’a fait pour moi. Et demain, je pars pour Syracuse. Seul.
« Je n’arrive pas à dormir, je ne dors toujours pas. Je garde les yeux fixés sur le plafond et j’écoute le silence. Je n’entends que le souffle de ma respiration et celui d’Apollonia. Sa respiration régulière, paisible. Elle dort. Je la tiens blottie contre moi. Qui sait quand pourrais-je à nouveau avoir sa compagnie ? La séparation sera dure, il ne faudra pas que je me retourne. Pauvre Apollonia, elle va beaucoup me manquer.
Elle est devenue essentielle à ma vie, je ne peux plus me passer d’elle. Elle est pure comme un ange, douce et candide. Son innocence m’est allée droit au cœur. J’ai le plus grand respect pour elle. Elle m’est dévouée, elle m’aime au moins autant que moi. Et c’est parce que je ne veux pas la perdre que je ne puis l’emmener avec moi à Syracuse malgré le déchirement que cette séparation me coûte… »