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Parcourant la campagne à bride abattue, Diego approchait enfin de son domaine. Don Juan avait raison, sans médecin, Roseta Monastorio n’avait aucune chance, aussi avait-il décidé d’aller chercher le docteur sans plus attendre. Diego ne se faisait guère d’illusion, il avait peu de chance de pouvoir le ramener chez les Monastorio à temps… Mais il se devait d’essayer. Il ne pouvait rester là bas sans rien faire.
Arrivant en vue de son hacienda, Diego de la Vega la contourna sans s’arrêter, pour rejoindre, quelques centaines de mètres plus loin, l’entrée de la caverne de Zorro, dissimulée par de longs feuillages. A l’intérieur de la petite grotte sombre, il ne prit point la peine de se changer. Après avoir sellé son cheval noir le plus rapidement possible, il grimpa sur Tornado et éperonna sa monture, prêt à repartir de plus belle. Même avec le cheval le plus rapide de la région, Diego n’était pas sur de pouvoir rattraper à temps le docteur, mais il devait essayer malgré tout. Prenant la direction de San Pedro, Diego filait comme le vent, à travers les paysages arides et rocailleux des abords de Los Angeles.
A l’hacienda Monastorio régnait une atmosphère de plus en plus tendue, tandis que la chaleur moite de cette chaude après-midi rendait l’air plus étouffant que jamais. Roseta reposait à présent sur le lit de sa chambre à l’étage, somnolant dans un demi-sommeil agité. Brûlante de fièvre, elle n’en était pas moins parcourue de frissons, et semblait lutter contre un ennemi invisible. A ses côtés, Enrique Monastorio ne la quittait pas du regard.
Tous les invités étaient à présent partis. Seuls demeuraient Ana Maria, occupée à soulager Roseta comme elle le pouvait à l’aide d’un linge humide qu’elle appliquait sur son front, ainsi que Don Juan. Celui-ci, posté à la fenêtre de la chambre, gardait le silence. Le regard soucieux et grave, il cherchait en vain un moyen de retarder encore les effets du poison. Mais il n’était point spécialiste de ces choses-la, et il sentait la colère monter en lui lorsqu’il comprenait qu’il ne pouvait rien faire…
Les yeux rivés sur son épouse, le commandant semblait ne se rendre compte de rien autour de lui. Il avait pris entre ses mains celle de son épouse et depuis lors, n’avait point dit un mot. Ana Maria eut le cœur serré lorsqu’elle vit le regard bouleversé du commandant. Rarement elle l’avait vu ainsi… S’asseyant de l’autre côté du lit sur une chaise, à proximité de Roseta, elle reposa la petite bassine d’eau et posa son regard sur le Commandant Monastorio.
« Je suis tellement désolée, Commandant… Il faut garder espoir, malgré tout… »
Elle se mordit la lèvre, comprenant que ses paroles étaient bien vaines. La peine et la douleur que le commandant affichait lui brisait le cœur, mais elle ne savait pas quoi lui dire pour le réconforter…
« Je ne comprends pas… » répondit-il enfin, la voix sourde « pourquoi a-t-on voulu lui faire du mal… ? Qui aurait intérêt à s’en prendre à mon épouse… ? »
A ces mots, Don Juan se retourna vers lui, et répondit, hésitant.
« Commandant… A mon avis ce n’est point votre femme que l’on a voulu toucher, mais vous… Sans doute cette eau empoisonnée vous était destinée, ou bien a-t-on voulu vous atteindre par le biais de votre épouse… »
Ana Maria eut peur alors, en voyant le regard du commandant se teinter d’une colère sourde et profonde. Elle craignit de le voir s’emporter à nouveau contre Don Juan, mais cela ne fut point le cas. Elle sentit son cœur se serrer affreusement lorsqu’elle vit le regard d’Enrique se brouiller de larmes.
« Moi… c’est à cause de moi… »
« Vous ne pouviez pas savoir Commandant… Ce n’est point de votre faute… »
« Mais si… C’est de ma faute, Señora, Don Juan a raison… Je suis le seul fautif… »
Serrant un peu plus fort la frêle main de son épouse contre lui, Enrique Monastorio ne tentait plus de dissimuler ses larmes.
« Je vous demande pardon, Roseta… »
Bouleversée, Ana Maria se releva et entreprit de rafraîchir à nouveau Roseta, appliquant avec délicatesse le linge imbibé d’eau fraîche sur le visage contractée de la jeune Señora, qui demeurait inconsciente.
De longues minutes s’écoulèrent ainsi dans le silence, entrecoupé par moments par les mots d’encouragement qu’Enrique murmurait à Roseta, les soupirs d’inquiétude d’Ana Maria, et ceux, d’énervement, de Don Juan. Le temps semblait s’être arrêté, et pourtant, chaque seconde qui s’écoulait affaiblissait un peu plus encore la jeune femme. Don Juan fit observer qu’ils avaient la chance de voir le poison ne pas agir correctement, qu’il fallait s’accrocher à cet espoir et continuer de prier. A nouveau posté à la fenêtre de la chambre qui donnait sur l’avant du domaine, il implorait silencieusement Diego de revenir le plus vite possible avec le docteur. Roseta Monastorio tenait bon, mais pour combien de temps encore… ?
Enfin, il laissa s’échapper un cri de joie lorsqu’il aperçut au loin le nuage de poussière soulevé par un cheval noir, qu’il pouvait reconnaitre entre tous. A quelques dizaines de mètres de la, il reconnut Diego, accompagné du docteur.
« Les voila ! Commandant, Don Diego est de retour, avec le médecin ! »
« Ooh, enfin… ! Seigneur dieu… »
Lâchant la main de Roseta, Ana Maria se leva et quitta la chambre pour rejoindre son mari, à la fois soulagée et nerveuse. Arrivant dans la petite cour de l’entrée, elle se mit à pleurer de soulagement lorsqu’elle vit le docteur descendre de cheval, aidé par Diego. Sans perdre de temps, elle indiqua au médecin la chambre à l’étage et le vit s’engouffrer à l’intérieur de l’hacienda. Reprenant son souffle, Diego finissait d’attacher Tornado, pour ensuite entrer dans l’hacienda, où il retrouva Ana Maria.
« Diego ! Seigneur, j’ai eu si peur si vous saviez ! Oh Diego, Roseta est si faible ! »
« Tout ira bien à présent, n’ayez plus d’inquiétude. Le docteur est la. Il va la soigner. Tout ira bien… »
Berçant son épouse avec tendresse, il tentait de la calmer, la jeune femme n’ayant pu contenir davantage des larmes d’inquiétude qui lui brûlait le regard. Inquiet, il leva les yeux vers les fenêtres à l’étage. Il avait pu amener le docteur à temps, mais était-ce suffisant… ?
Quelques minutes plus tard, Don Juan rejoignait les de la Vega dans le patio, un sourire rassurant aux lèvres.
« J’ai de bonnes nouvelles ! Le docteur a examiné la Señora Monastorio, il dit qu’il peut la soigner et qu’elle se remettra… ! Elle restera plusieurs jours alitée encore, mais elle n’est plus en danger. Tout va bien. »
« Voila d’excellentes nouvelles en effet.. ! Gracias Juan, je suis heureux de l’apprendre. »
Le sourire aux lèvres, les deux caballeros échangèrent une brève accolade amicale, tandis qu’Ana Maria se sentit soudainement soulagée, comme libérée d’un poids. Retrouvant le sourire, elle s’excusa et s’empressa de retourner auprès de son amie, laissant seuls Diego et Juan.
« Merci à vous Diego, sans vous, le docteur ne serait jamais revenu à temps… » dit alors Juan, glissant son regard sur le cheval noir qu’on apercevait de l’entrée.
« Je suis soulagé de voir que tout se termine bien à vrai dire » répondit Diego « je n’étais sur de rien… »
« L’essentiel est que la Señora Monastorio aille bien maintenant… ! »
« Absolument ! »
Echangeant un sourire, les deux jeunes gens se dirigeaient vers l’hacienda lorsqu’ils virent apparaitre le Commandant Monastorio…
« Commandant… » salua Diego.
« De la Vega… Je crois que je me dois de vous remercier. Le docteur est auprès de ma femme, et me dit qu’elle aura la vie sauve. Je vous le dois… Gracias. Merci pour les efforts que vous avez faits pour elle.»
« Je vous en prie, Commandant… Je suis heureux et soulagé de voir que tout se termine bien. »
S’observant quelques secondes en silence, Enrique Monastorio finit par tourner légèrement la tête vers l’entrée, pour revenir ensuite vers Diego de la Vega, l’interrogeant du regard. Après quelques secondes, il finit par reprendre la parole, le regard grave.
« Don Diego… Puis-je me permettre de vous demander… comment cela se fait que vous soyez en possession du cheval de Zorro… ? »
Inquiet, Diego hésita un instant quant à la réponse à donner… Aux côtés du Commandant, il voyait déjà le visage de Don Juan se contracter, se retenant d’intervenir.
« Et bien… Si je vous dis avoir rencontré le Señor Zorro et que celui-ci m’a confié son cheval pour aller plus vite… pensez-vous pouvoir me croire… ? »
Un silence accompagna la réponse de Diego, lorsque Enrique reprit enfin la parole.
« Je pense… pouvoir le croire, oui. Pour cette fois-ci Señor… » répondit-il, le regard clair.
Sans un mot de plus, le Commandant Monastorio tourna les talons et remonta auprès de son épouse. Resté silencieux, Diego le suivit du regard, un léger sourire aux lèvres.
« Gracias, Commandante… »FIN